Détourner l’attention des grands problèmes de santé publique liés au tabagisme en surfant sur de nouveaux marchés dérivés du tabac dits plus « responsables » permet aux grandes majors du secteur de se racheter une conscience. Entre évitement et nouvelle croyance de consommation, la stratégie engagée doit être contrée par des mesures réglementaires étatiques pérennes et salutaires pour les jeunes générations.
La déclaration du directeur général de Philip Morris International (PMI) pour un monde sans cigarette à horizon 2030 en juillet dernier aura été perçue comme la provocation de trop par les acteurs de la santé. A en croire les récentes déclarations de M. Jacek Olczak, 10 ans suffiront pour nous débarrasser définitivement des cigarettes. L’OMS se s’y trompe guère et entend bien endiguer la réelle ambition des patrons du tabac : accélérer la reconversion de la filière en conquête de nouvelles sources de profit via des ouvertures de marché sur des produits dits plus « propres » : tabac chauffé et cigarettes électroniques.
Au Royaume-Uni, le conseil d’administration de la société britannique Vectura, spécialisée dans les inhalateurs médicaux, a accepté l’offre de rachat du géant américain PMI : 1,3 milliard d’euros aura scellé le deal financier. Le cigarettier promet d’investir en recherche et développement hors du tabac sur une base de dispositifs et traitements initialement prévus pour soigner les maux du tabagisme. Comment accepter un tel détournement d’une entreprise à vocation de santé et de bien-être ? Des requêtes politiques et associatives britanniques et américaines ont été déposées pour interdire cette transaction jugée indécente. Selon la présidente d’Asthma UK, Sarah Woolnough, cette opération permettrait à « une entreprise qui a profité des ravages du tabac, de gagner encore plus d’argent en fournissant des traitements contre les maladies qu’elle a causées ».
Dans quelle mesure les cigarettiers mettent en œuvre des stratégies d’évitement d’une réglementation plus stricte de la part des autorités de santé publique ? Contrer l’action des organismes de santé en ouvrant le secteur à des dérivés de consommation étiquetés plus « respectueux » ou « biologiques » est une tactique subversive qui s’essoufflera vite. En s’engageant de façon « responsable » sur ces nouveaux marchés, ils tentent de gagner une nouvelle virginité aux yeux des autorités qui ne l’entendent pas de cette oreille car la non-dangerosité de ces produits n’a pas été prouvé sur le court, moyen et long terme.
Nouveaux dérivés addictifs du tabac : attention, danger !
Démultiplier l’offre, maximiser la demande à tout prix et surtout stimuler les nouveaux usages de consommation et d’addiction des nouvelles générations : voici l’ordre de mission pour les stratèges du tabac. Mais les officiels de santé, scientifiques et modérateurs ne sont pas dupes et entendent bien ne pas se limiter à une réglementation douce. « La nicotine est très addictive et les inhalateurs électroniques de nicotine sont dangereux et doivent être mieux règlementés », a résumé Tedros Adhanom Ghebreyesus, le patron de l’agence onusienne, qui a publié en juillet un nouveau rapport sur la lutte contre le tabagisme, réalisé conjointement avec Bloomberg Philanthropies.
Recruter de nouveaux adeptes grâce à des produits de substitution dont la nocivité a été démontrée par l’OMS relève d’une tactique peu convaincante puisqu’elle vise en première ligne les plus jeunes citoyens dont les effets néfastes semblent avoir une incidence forte sur le développement de leur cerveau. Chaque année, on estime que 200 000 mineurs commencent à fumer en France. Le tabagisme tue 8 millions de personnes par an dans le monde dont 1 million du tabagisme passif, et est encore en France aujourd’hui la première cause évitable de mortalité.
L’industrie du tabac est ancienne, les majors de la nicotine et autres substances ne vont pas céder facilement : sortir du carcan réglementaire pour surfer sur des mesures encore imprécises leur permet d’exploiter d’autres ressources de profit et des alternatives lucratives solidement amarrés aux jeunes gens en prise au vent des addictions bien marketées. Bien sûr, déplacer l’addiction et ouvrir de nouveaux marchés pour des publics friands d’innovations et de beaux slogans vertueux et non nocifs à leur santé est une voie à emprunter sans hésiter. Les fabricants de ces produits « dérivés » multiplient le catalogue et louvoient avec la réglementation en cours et les mesures de contrôle.
Inverser la donne : intensifier les politiques de prévention et les mesures fiscales
Les professionnels de santé entendent aujourd’hui protéger les populations du danger de ces nouveaux produits du tabac en frappant fort afin de modifier les pratiques des majors du secteur. Selon le rapport de l’OMS publié cet été, 32 pays interdisent la vente de ces inhalateurs électroniques de nicotine et 79 ont adopté au moins une mesure pour en limiter l’usage comme l’interdiction de la publicité.
Comment réglementer davantage et réguler le développement de ces nouveaux produits hybrides ? L’accélération de la hausse des prix, l’application d’une politique fiscale sur l’ensemble des produits du tabac, le rejet d’une fiscalisation « douce » sur le tabac chauffé sont autant de remparts contre les pratiques de l’industrie.