L’exposition des plus jeunes à la pornographie est quasiment absente des débats de l’élection présidentielle. L’association Ennocence monte pourtant au créneau depuis plusieurs mois pour demander aux candidats de prendre des engagements pour protéger les plus jeunes et leur éviter des dommages physiques et psychiques irréversibles.
Après des mois de combats acharnés, l’élection présidentielle touche à sa fin. Dans moins de deux semaines, les Français sauront qui d’Emmanuel Macron ou de Marine Le Pen entrera à l’Elysée. Si la campagne a été marquée par les « affaires », elle n’a pas empêché les candidats d’avancer leurs propositions et visions pour la France.
Dans les différents programmes, un sujet a pourtant été peu abordé. A droite comme à gauche de l’échiquier politique, les dangers de la pornographie pour les enfants ont été absents du débat, ou presque. Un manque que dénonce l’association Ennocence, qui alerte l’opinion publique sur ces dangers.
Il y a urgence, et ce alors qu’un enfant a en moyenne 11 ans lorsqu’il est exposé pour la première fois à du contenu pornographique en ligne. 14% des 9-16 ans et 36% des 15-16 ans reconnaissent, selon une étude OpinionWay pour Ennocence, avoir surfé sans le vouloir sur un site pour adultes. Leurs parents sont d’ailleurs 55% à estimer que leurs enfants regardent des vidéos sur des sites de streaming illégaux, sur lesquels « les fenêtres pop-up de ce type pullulent », selon Gordon Choisel, le président de l’association.
« L’industrie du porno en ligne a mis en place une stratégie marketing très féroce en forçant les internautes, via ces sites de streaming, à consulter des images pour adulte sans leur consentement et sans se préoccuper de leur âge, accuse Gordon Choisel. Elle n’a aucun intérêt à enrayer le phénomène, puisque ces mineurs tombés contre leur gré sur des contenus inappropriés lui rapportent chaque année, selon nos estimations, la somme colossale de 147 millions de dollars ».
Emmanuel Macron : le porno « fait partie de la vie »
Ennocence se bat également afin que les décideurs politiques s’emparent du sujet. Ces derniers semblent pourtant faire la sourde oreille, comme le démontrent leurs programmes respectifs. Le candidat malheureux François Fillon n’envisageait ainsi que d’appliquer « réellement » la législation existante, qui interdit le visionnage de contenus pornographiques aux mineurs, en associant fournisseurs d’accès Internet, opérateurs de téléphonie mobile, associations familiales et de protection de l’enfance et la Cnil. Emmanuel Macron a lui déclaré au site « Kombini » que le porno, « Ca fait partie de la vie ! ».
Quant à sa concurrente lors du second tour, Marine Le Pen, son programme évoque simplement « une meilleure protection des enfants contre toutes les formes de violences, y compris la violence pornographique et la violence morale via Internet ». Si l’une de ses conseillères a bien évoqué, en réponse à un questionnaire soumis par le mouvement catholique intégriste Civitas, l’établissement d’une « censure » des contenus pornographiques sur Internet et à la télévision, cette notion est absente du programme de Marine Le Pen, qui fait, au contraire, la part belle à la défense de la liberté d’expression sur Internet.
Cette légèreté dans l’approche du phénomène de l’exposition des plus jeunes au porno est coupable. Les conséquences de cette consommation de contenus pour adultes par les enfants sont pourtant réelles et longues à contrecarrer.
Des dommages « incalculables »
Si la pornographie n’a rien d’un phénomène nouveau, les progrès technologiques rendent son accès plus facile que jamais. Les études réalisées sur les effets d’une consommation régulière de contenus pour adultes tendent à démontrer que ces pratiques renforcent les stéréotypes sur les genres, contribuent à former chez les jeunes une vision sexiste des femmes et du sexe et augmentent les violences faites aux femmes.
À titre d’exemple, une étude australienne a révélé que la majorité (51%) des jeunes femmes de 15 à 19 ans ressentent une pression sociale les poussant à partager des images intimes d’elles-mêmes sur les réseaux sociaux ou par SMS.
En 2016, un symposium sur les « Dommages de la pornographie sur les enfants et les jeunes », toujours en Australie, a révélé que la facilité d’accès aux contenus pour adultes est responsable d’une hausse inquiétante des agressions sexuelles d’enfants sur d’autres enfants. Elles auraient été multipliées par quatre en quatre ans en Australie. Les conséquences du visionnage de scènes violentes sont « incalculables », a prévenu Liz Walker, auteure d’un livre sur la question : tout cela prépare « les agresseurs sexuels de demain » et un monde « de violence sexuelle entre partenaires intimes ».
Pour le président de la Fondation australienne pour l’enfance, Joe Tucci, « il est impossible pour les enfants de » ne pas voir de contenus pornographiques : « Il suffit de taper des mots innocents comme ”amour” dans Google et en l’espace de trois ou quatre résultats on se retrouve sur un site pornographique », selon lui. Joe Tucci s’attend ainsi à « l’émergence d’un grand nombre d’adultes au comportement sexuel offensant, un comportement qui fera du mal à autrui ».
Pour la militante Melinda Tankard-Reist, « les garçons apprennent qu’ils ont tous les droits tandis que les filles se voient comme des sortes de ”stations-service’ à la merci des garçons et des hommes ». Une vision dangereuse, que les dirigeants politiques se doivent de combattre par tous les moyens.