En France, la première expérience sous l’intitulé « Le défi des 10 jours pour voir autrement » a été lancée en mai 2008 par Serge Hygen à l’école du Ziegelwasser à Strasbourg. Les médias l’ont malheureusement appelée « le défi des dix jours sans écrans ». Hélas ! C’est plus spectaculaire et polémique, mais totalement faux !
En effet, il ne s’agit pas d’empêcher les enfants de regarder la télé ou de jouer aux jeux vidéo, mais de les inviter à choisir les programmes et les jeux auxquels ils tiennent vraiment. Parallèlement, les parents et des éducateurs leur proposent d’autres activités qu’ils sont libres de suivre ou non. C’’est une façon de rendre aux enfants le désir et la liberté d’être des spectateurs actifs en les invitant à tout moment à choisir ce qu’ils ont envie de faire et de regarder. Partout où cette expérience a été menée, elle a provoqué des changements durables dans les habitudes des jeunes et des familles. La revue Non Violence actualité y a consacré son numéro de janvier février 2009 (www.nonviolence -actualité.org ).
Cette action est inspirée de celle que Jacques Brodeur a lancée au Québec, dans les années 2000, et qu’il a appelé « Le défi de la dizaine sans télé ni jeu vidéo ». Inspirée, mais pas semblable. Jacques Brodeur avait lui même pris modèle sur le programme Student Media Awareness to Reduce Television (SMART) mis au point et testé par Thomas Robinson en 1999 en Californie (USA) dont le but, comme son nom l’indique, n’était pas de supprimer la consommation d’écrans, mais de la réduire.
Car il ne suffit pas de regarder moins la télévision pour aller mieux. On peut même s’adonner à des activités encore plus abrutissantes ! L’important est d’apprendre à utiliser les écrans pour le meilleur, c'est-à-dire pour leur pouvoir d’augmenter notre liberté, et d’échapper au pire, à savoir le risque de leur emprise. Un moyen d’y parvenir est de développer d’autres activités complètement différentes, mais aussi d’encourager toutes celles qui permettent de prendre du recul par rapport aux médias, comme d’inviter les enfants à faire leurs propres images, leurs propres photographies et leur propre cinéma, pour devenir les créateurs de leur propre imaginaire. Regarder moins la télé n’est utile que si on la regarde autrement, et fabriquer des images peut y aider. Sans compter que partager les savoirs et la passion des images est aussi une façon de créer du lien !
Cette « Dizaine » n’est donc pas faite pour nous convaincre d’éliminer les écrans de nos vies, mais pour nous apprendre à ne plus nous laisser tyranniser par eux. « Apprendre à voir autrement », c’est tout autant porter un regard différent sur les écrans que réfléchir à leur place dans nos existences.
Ceux qui passent le plus de temps devant les écrans sont en effet souvent ceux qui sont le moins confiants dans la vie et dans leurs propres possibilités. Ils y trouvent un refuge facile, et de ce point de vue, les jeux vidéo ne sont guère différents de la télévision. C’est pourquoi les alertes sur les effets négatifs de la surconsommation d’écrans sont le plus souvent sans effet. Bien sûr, beaucoup d’entre nous sentent bien qu’il n’est plus possible de se laisser happer par les écrans, mais nous ne voyons pas comment nous y prendre pour vivre autrement. Et c’est bien normal, parce que la plus grande violence des écrans est justement de nous enfermer dans la solitude. Nous n’y voyons que bien rarement la valorisation des actions collectives, du débat, de la controverse et de l’échange. Du coup, chacun reste seul face à son questionnement. Pour voir le monde autrement, nous avons besoin d’expérimenter des solidarités concrètes autour d’objectifs précis, et la « Dizaine pour apprivoiser les écrans » en est justement l’occasion.
Ce n’est pas pour rien qu’elle prend appui sur les enfants. Ils sont les adultes de demain qui élèveront leurs propres enfants avec d’autant plus de discernement vis-à-vis des écrans qu’ils auront été aidés eux-mêmes à y réfléchir.