Empêtré dans les scandales, le CIRC doit choisir un nouveau directeur cette semaine. Un choix lourd de conséquences pour le système classique d’évaluation des risques/dangers des agents pathogènes, malmené dans les médias.
Le Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC), en charge de l’évaluation des dangers (“hazards”) d’agents pathogènes, est à un tournant de son histoire. Ces dernières années, l’organisme de recherche de l’OMS basé à Lyon avait suscité le courroux des milieux scientifiques et du Congrès américain pour ses méthodes scientifiques controversées et le parfum de polémiques qui suivait ses publications. Empêtré dans les scandales, celui-ci doit choisir son nouveau directeur cette semaine.
Christopher Wild, le directeur sortant, a notamment été critiqué durant son mandat pour son traitement partisan de la monographie glyphosate, depuis qu’une enquête de Reuters avait démontré que le CIRC avait édité des passages favorables à la classification de la molécule comme agent non cancérogène. L’implication dans le processus de classification de l’herbicide controversé de Christopher Portier, un scientifique connu pour ses positions militantes et concourant par ailleurs à la direction du CIRC, avait largement été dénoncé. En tant qu’invité non participant, Portier aurait été accusé d’avoir influencé les recherches du CIRC. Peu de temps avant la publication de l’enquête du Centre sur le glyphosate, ce dernier avait également signé un contrat de 120 000 dollars avec des avocats en procès contre Monsanto, entreprise ayant développé la molécule glyphosate.
Vers la mise en place d’une nouvelle méthodologie
Selon le site du CIRC, deux événements majeurs vont changer la façon dont l’organisme est dirigé. Le premier est la nomination de son nouveau directeur qui aura lieu cette semaine. Celle-ci aurait un impact majeur pour l’organisme qui, sous la direction de Christopher Wild, s’était engagée dans une course à la communication critiquée par certains scientifiques. De l’avis du CIRC, les candidatures ont été nombreuses. Plusieurs noms circulent déjà dans la communauté scientifique comme remplaçants potentiels.
D’un côté, la tentation de s’inscrire dans la tradition de Christopher Wild : plus offensive, cette voie a montré également ses limites avec une politisation du CIRC, selon ses détracteurs. Cette voie pourrait être incarnée par le Dr. Joachim Schüz, un enfant de la balle ayant construit la majeure partie de sa carrière au sein du CIRC, ou par Christopher Portier, le même scientifique ayant eu un rôle majeur dans le scandale glyphosate, résidant en Suisse et un temps enregistré comme lobbyiste au Parlement européen. Si la méthode Wild a été encensée par les ONG, celle-ci pourrait créer des remous au sein même de l’OMS, dont les agences ne partagent pas toujours l’avis d’un CIRC souvent minoritaire.
De l’autre, la tentation d’une nouvelle voie, plus moderne et également plus réformatrice. Celle-ci pourraient être incarnée par des épidémiologistes plutôt que des statisticiens, à l’image des Dr. Shuji Oigno, Sten Dillner ou Elisabeth Weiderpass. Stewart Jessamine, le ministre de la santé de la Nouvelle Zélande, est également un candidat sérieux, dans la mesure où ce dernier a déjà démontré sa connaissance actuelle du système risque/danger des agences de santé et de sa volonté de le rénover.
Rififi autour des monographies
Le deuxième événement majeur sera, indubitablement, la question de la réforme des méthodologies du CIRC. Celle-ci devrait être abordée à l’occasion de la révision du Préambule de l’organisme, un document à la base du fonctionnement de l’agence. Ce document définit les principes généraux, les procédures et le champ de recherche du programme. En d’autres termes, il s’agit d’un gigantesque aggiornamento méthodologique et scientifique, tel que le CIRC n’a pas connu depuis 2006.
Ce renouveau est toutefois plus que nécessaire. En effet, l’organisme a accumulé les critiques ces dernières années, critiques qui ont culminé avec l’affaire du glyphosate. Opaques, peu transparents, le système et les méthodes du CIRC interrogent.
Avant cette polémique, des scientifiques avaient déjà alerté sur le fait que la classification du café, de la viande rouge ou encore des déodorants comme “cancérogènes possibles” par le CIRC avaient été repris par les médias, sans prise de recul vis-à-vis de la dose et des risques d’exposition. Le CIRC n’avait pas suffisamment joué son rôle, en rappelant à la presse les nécessaires réserves à adopter. Il faut dire que les monographies de l’organisme sont à la base de cette confusion des genres : en effet, l’organisme juge des dangers (hazards) potentiels que représente un agent, sans prendre en compte les risques que pose ce dernier (c’est-à-dire la possibilité que ces dangers posent un risque réel, en fonction du contexte). C’est aux agences sanitaires de chaque pays d’établir à partir de la monographie du CIRC les risques que posent une substance (exposition, dose, etc).
Un système efficace selon l’Association française pour l’information scientifique, pour qui “l’établissement d’un danger et l’évaluation du risque associé sont séparés, et complémentaires”. L’implication médiatique et militante ont néanmoins dynamité ce système de classification. La reprise des éléments par des non scientifiques et – pire – leur instrumentalisation par une population militante ont ignoré le rôle des agences sanitaires, pourtant crucial.
Ainsi, si la viande rouge pose un danger, il faudrait la consommer dans des quantités très importantes pour que celle-ci s’approche du risque réel estimé par les agences sanitaires. Une donnée rarement prise en compte par la fureur médiatique, de la même façon que celle-ci passe sous silence le fait que sur les 1000 agents étudiés par le centre lyonnais de recherche, seul un est considéré comme non cancérogène à ce jour. Ainsi, l’aloe vera ou le miel, sont considérés comme des cancérogènes possibles par le CIRC, alors même que ces derniers ne déclenchent pas les mêmes polémiques.
En se refusant à éteindre les feux que ses travaux ont lancé, le CIRC a abouti à une situation de tensions difficile à résoudre. Quelle que soit son obédience, le futur directeur aura donc du pain sur la planche… et devra jouer davantage au pompier qu’au pyromane.