Antilles : l’exposition au chlordécone, un facteur de l’infertilité ?

Une étude de l’Inserm soupçonne le chlordécone, un pesticide interdit depuis 1993 aux Antilles, d’être responsable de l’allongement du délai nécessaire pour concevoir un enfant chez les femmes antillaises. Elle repose sur l’analyse de données de plus de 600 femmes enceintes interrogées entre 2004 et 2007, lors de visites de contrôle dans des centres hospitaliers. Mais cette recherche n’établit pas de lien de cause à effet clair, l’infertilité féminine pouvant avoir de multiples origines.

Une étude publiée le 16 octobre dans la revue Environmental Health par une équipe de recherche de l’Inserm, au sein de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Inserm/Université de Rennes/École des hautes études en santé publique), établit un lien entre exposition au chlordécone et allongement du délai nécessaire pour concevoir un enfant, un indicateur reconnu de la fertilité du couple.

Une molécule toxique pour l’homme

Le chlordécone est un pesticide servant à lutter contre le charançon du bananier, un insecte ravageur pour cette culture. Absente à l’état naturel dans l’environnement, cette molécule organochlorée est considérée comme toxique pour l’homme (cancérogène et perturbateur endocrinien). Elle est interdite depuis 1977 aux Etats-Unis et depuis 1993 en France ainsi qu’aux Antilles. En dépit de cette interdiction de longue date, le chlordécone est toujours présent dans les sols déjà contaminés car il peut subsister jusqu’à 700 ans après. Il se trouve donc, sans qu’on le sache, dans certaines denrées d’origine végétale ou animale et certaines sources d’eau potable.

Plus le taux de chlordécone était élevé, plus le délai pour tomber enceinte était long

Pour leur étude, les scientifiques de l’Inserm ont analysé les données de 668 femmes enceintes, interrogées entre 2004 et 2007 lors de visites de contrôle dans des centres hospitaliers, dans le cadre de la cohorte Timoun en Guadeloupe. Des prélèvements ont également été réalisés sur ces femmes pour mesurer la concentration de chlordécone dans leur sang.

Sur la base de ces données, les chercheurs ont réparti les participantes en quatre groupes selon les niveaux d’exposition. Ils ont constaté que plus le taux était élevé, plus le délai pour tomber enceinte était long. « Plus les femmes ont été exposées à des niveaux élevés de chlordécone, plus elles ont mis de temps à concevoir leur enfant », résume Luc Multigner, directeur de recherche émérite à l’Inserm et coauteur de l’étude.

L’infertilité féminine peut avoir de multiples origines

Dans le détail, les femmes dont la concentration sanguine dépassait 0,4 microgramme par litre (0,4 µg/l) avaient environ 25% moins de chances de tomber enceinte lors d’un cycle menstruel. Ces résultats sont jugés significatifs, bien qu’ils n’établissent pas formellement le lien de cause à effet. D’ailleurs, « l’infertilité féminine peut avoir de multiples origines », telles que le syndrome des ovaires polykystiques ou l’endométriose par exemple, relève le responsable scientifique de l’étude, Ronan Garlantézec (université de Rennes). Par conséquent, il faudra une autre recherche pour mieux préciser l’association entre l’exposition au chlordécone et l’infertilité féminine.

Chez les animaux, une altération de la fertilité des femelles exposées au chlordécone

En attendant les résultats de cette étude, les scientifiques invitent à poursuivre les efforts de réduction de l’exposition au chlordécone, en particulier chez les femmes en âge de procréer. Les chercheurs rappellent que plusieurs travaux ont déjà montré un lien entre l’exposition à cette substance et des effets néfastes sur la grossesse (risque augmenté de prématurité), ainsi que sur le développement de l’enfant (difficultés comportementales, scores moins bons aux tests cognitifs). Par ailleurs, des études antérieures menées chez l’animal ont démontré une altération de la fertilité des femelles exposées au chlordécone. De quoi appliquer la maxime suivante : prudence est mère de sûreté.