Si la législature du Parlement européen touche bientôt à sa fin, certains députés, à l’image de Christian Busoï, n’entendent pas baisser la garde face aux lobbies du tabac. Et ce alors que ces derniers ont réussi à créer un véritable imbroglio juridique sur la question de la traçabilité des cigarettes en Europe.
Quand le Parlement européen s’attaque à Big Tobacco. L’eurodéputé roumain Christian Busoï (PPE) vient en effet d’annoncer, par la voie d’un communiqué publié le 21 décembre, qu’il organisera un débat à Bruxelles le 29 janvier prochain. Son thème : « D’où vient le commerce parallèle du tabac ? Comment y mettre fin ? ». Ses participants : « la Commission européenne, les parlementaires, les fabricants de tabac, les associations antitabac, les buralistes et l’association qui a déposé le recours devant la CJUE », précise le communiqué.
Imbroglio juridique sur la traçabilité
Christian Busoï ne la nomme pas expressément, mais il s’agit bien, dans le cas de cette association ayant déposé plainte devant le Tribunal de première instance (TPIUE) de la Cour européenne de justice (CEJ), de l’ITSA, pour International Tax Stamp Association. A l’origine de cette plainte, un imbroglio juridique et politique au plus haut sommet de l’Europe, concernant la lutte contre la contrebande et le commerce parallèle des produits du tabac et, notamment, l’épineuse question de leur traçabilité.
Depuis le 25 septembre dernier, le premier Protocole à la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) « pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac », ratifié par une quarantaine d’Etats et l’Union européenne (UE) en 2016, est entré en vigueur. Il impose, notamment, aux Etats signataires d’adopter un système de traçabilité des paquets de cigarettes qui soit parfaitement indépendant de l’industrie du tabac. Celle-ci est, en effet, à l’origine de 98% des cigarettes de contrebande, selon le sénateur Xavier Iacovelli, qui dénonce la propension des fabricants à inonder les marchés de pays comme Andorre afin de soutenir les achats transfrontaliers.
Le Protocole est donc devenu obligatoire dans tous ses éléments et à l’égard de tous, et la Commission européenne a parallèlement pris les devants. Considérant que les obligations de l’OMS n’entreraient pas en vigueur avant de longues années, l’exécutif européen a concocté une « Directive tabac » (et actes dérivés) qui laisse, de fait, les coudées franches aux majors du tabac pour assurer elles-mêmes la traçabilité de leurs propres produits. C’est la coexistence, et surtout l’incompatibilité, de ces deux normes – l’une de portée internationale, l’autre européenne – qui posent problème et que n’a cessé de dénoncer l’ITSA. En vain, d’où le dépôt d’une plainte qui aura, au moins, le mérite de porter ces sujets techniques sur le devant de la scène.
Un débat « pas anodin » sur le commerce illicite du tabac
Dans son communiqué, l’eurodéputé Busoï relève lui aussi que « le contexte juridique a (…) changé avec l’entrée en vigueur le 25 septembre 2018 du Protocole (…) “pour éliminer le commerce illicite du tabac”. Le Protocole de l’OMS, qui exige que les fabricants de tabac ne soient pas associés à la mise en place des systèmes de traçabilité des produits du tabac, (…) semble en contradiction avec les ”actes d’exécution et délégués sur la traçabilité du tabac” adoptés par l’Union européenne début 2018 et qui accordent plusieurs tâches essentielles aux cigarettiers ».
« Ce débat n’est ni que technique ou juridique, ni anodin, poursuit le député européen. Le commerce parallèle de tabac est en effet la principale porte d’entrée des jeunes dans l’addiction tabagique. Il engendre également des déficits abyssaux des budgets de sécurité sociale des États membres, mais aussi leur cause un manque à gagner de 10 à 20 milliards d’euros de recettes fiscales chaque année. » C’est la raison pour laquelle Christian Busoï, conscient qu’intervient bientôt le renouvellement du Parlement européen, considère qu’il est « urgent de faire le point sur cette situation nouvelle », en organisant le débat prévu le 29 janvier.
Ce débat s’annonce comme un forum de discussion stratégique entre l’un des lobbys les plus décriés de Bruxelles et les Etats et citoyens européens, à quelques mois d’échéances électorales cruciales pour l’avenir de l’Union.